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L'Affaire Saunier-Langis

Le Tondu n’était pas un amateur. Il se retournait régulièrement, faisait de brusques crochets, mais il ne paraissait guère craindre d’être suivi. D’ailleurs, pourquoi l’eût-il été ? Il avait appris à prendre des précautions lorsqu’il se déplaçait et c’était devenu pour lui comme une seconde nature. Il le faisait sans y penser, parce que ça lui avait évité plus d’une fois d’être pris, et même d’être liquidé par une bande rivale. Mais ça, c’est une autre histoire, que je vous raconterai une autre fois.

Antonin les connaissait, ses trucs. Il devinait à quel moment il se retournerait, quel crochet il ferait. Et il connaissait la Courtille comme sa poche. Il lui arrivait de ne pas prendre la même ruelle que le Tondu et de l’attendre plus loin, caché entre deux masures ou derrière la porte mal fermée d’un immeuble bas. À la Courtille, rares étaient les immeubles dont les portes avaient conservé leur verrou intact. Non pas qu’elles aient été crochetées, il n’y avait rien à voler, mais par négligence. On a perdu la clef, on donne un coup d’épaule pour entrer et personne ne pense à remplacer la serrure ou le verrou.

À mesure qu’il s’éloignait de l’ancienne barrière de Belleville, les estaminets et les tripots se firent plus rares, puis ils disparurent tout à fait. Il n’y avait plus aucun éclairage et, en l’absence de clair de Lune, l’obscurité était totale. Rares étaient ceux qui osaient s’aventurer dans cette zone. Le Tondu s’y déplaçait sans paraître craindre de se faire égorger. Antonin était plus circonspect. Mais, à vrai dire, son attention était plus occupée à éviter les immondices et le corps des ivrognes qui jonchaient le sol qu’à parer une éventuelle attaque. Antonin se déplaçait avec la souplesse d’un chat et son oreille était accoutumée à percevoir le moindre bruit inhabituel.

Bientôt, les maisons s’espacèrent. On était au pied des Buttes Chaumont, le mont Chauve. La butte et les terrains avoisinants étaient en cours d’expropriation et il était question d’y créer un parc d’agrément pour les Parisiens, mais pour l’heure les travaux n’avaient pas commencé…